L’innovation dans le milieu brassicole est incessante. De nombreuses bières oubliées sont remises au goût du jour, et de nouveaux styles imaginés à partir d’intuitions et de méthodes utilisées pour d’autres boissons voient le jour. C’est le cas de la bière Brut, ou de la méthode Champenoise.
Histoire de la bière Brut
Le début des années 2000 voit deux brasseries belges s’essayer à un nouveau style de bière : la bière champagnisée. Il s’agit de bières de fermentation haute, très alcoolisées, très pétillantes et très sèches. Elles rappellent le Champagne, mais avec beaucoup moins d’acidité.
Se partagent alors le marché :
- Brasserie Bosteels avec la DeuS (11,5°)
- Brasserie De Landtsheer avec la Malheur (11,5°)
Le terme “Brut” pour désigner ces bières est rapidement utilisé à la place de “bière champagnisée”. Ceci afin d’éviter les procès d’une appellation très protégée.
Les bières Brut emploient des levures spécifiques au Champagne et les brasseries envoient même leurs bières maturer en caves champenoises. Sur place, elles subissent une seconde fermentation, le système de dégorgement à froid typique ainsi qu’un remuage par giropalette de 500 bouteilles. Bouteilles de 75 cl, comme pour le Champagne.
Concrètement, la grotation des bouteilles va permettre aux levures de sédimenter dans le goulot. Puis, en refroidissant les bouteilles, les levures gèlent dans ledit goulot. Une expulsion de la lie est réalisée puis un bouchon définitif posé.
Il en résulte des bières au prix élevé, assez fortes en alcool, mais qui se servent froides, entre 2 et 4°C. Elles sont alors idéales pour l’apéritif, similaire au champagne, avec une complexité remarquable. Du fait de leur teneur en alcool, elles peuvent aussi être dégustées en digestif.
Un style à part : la bière Brut IPA
En 2018, la brasserie Social Brewing de San Francisco (USA) offre un regain d’intérêt pour les bières Brut en créant un nouveau style : la Brut IPA.
Cette bière offre une sensation très sèche en bouche et croustillante, du fait de l’absence de dextrines non fermentescibles à l’embouteillage. La carbonatation ainsi que l’effervescence sont élevées, pour des arômes de houblons modérés à élevés.
En somme, une opposition radicale aux NEIPA de la côte Est qui sont très onctueuses en bouche. Nous parlons de cette différence dans notre article sur la grande famille des IPA.
Comparativement à la Brut belge, la Brut IPA est beaucoup moins alcoolisée. Elle s’approche de la moyenne des bières avec un taux généralement compris entre 4,5 et 6,5 %. Bien que les arômes du houblon soient bien présents, l’amertume, elle, est plutôt faible. Son IBU est compris entre 15 et 25 unités.
La Brut IPA se sert à une température plus classique d’environ 6 à 7°C et appartient à la famille des IPA Americaines de la côte Ouest. Celles-ci sont réputées plus sèches et plus résineuses que leurs cousines de la côte Est.
Processus d’amylolyses
Si les Brut IPA sont aussi sèches, c’est à cause des sucres non fermentescibles presque absents du produit final. Ce sont ces sucres résiduels, qui ne se transforment pas en alcool lors de la fermentation, qui sont responsables de la rondeur en bouche d’une bière. Plus une bière possède un taux de sucres non fermentescibles élevé, plus elle sera douce sur le palais.
Lors du brassage, on va chercher à produire des enzymes (les Alpha- et les Bêta-amylases pour les plus importantes). Elles vont venir découper les dextrines de l’amidon du malt pour obtenir des sucres plus simples tel le maltose (2 unités de glucose). C’est l’amylolyse.
Les levures ne peuvent consommer que des sucres simples pour les transformer en alcool et en CO2, pas les sucres complexes à grand nombre d’unités de glucose. D’où le nom de “dextrines non fermentescibles” pour les sucres complexes.
Les différents paliers d’empâtages réalisés par le brasseur permettront d’activer ou désactiver l’action de ces enzymes, afin d’obtenir plus ou moins de sucres fermentescibles.
Vous pouvez retrouver notre e-book “Comprendre le brassage” qui explique en détails le processus de A à Z, et notamment toutes ces petites interventions ici.
Secret d’une recette
Le problème des enzymes endogènes, présentes dans le malt, est qu’elles ne peuvent détruire toutes les liaisons de l’amidon. Il subsiste toujours des liaisons complexes qui imposent un taux minimum de sucres non fermentescibles.
Afin de pallier cet obstacle, les brasseurs de la Brut IPA ont ajouté une enzyme exogène, c’est-à-dire venant de l’extérieur, lors du brassage. Cette enzyme est l’amyloglucosidase, abbrégée AMG. Elle est issue du champignon Aspergillus Niger et est capable de découper les liaisons Alpha 1,4 et Alpha 1,6 de l’amidon, pour qu’il ne reste qu’une seule unité de glucose en fin de travail. Le glucose qui est fermentescible.
Les enzymes sont des catalyseurs : elles accélèrent la vitesse d’une réaction. L’ajout d’enzymes exogènes est de plus en plus courant dans l’industrie. En Afrique par exemple, la racine Munkoyo est ajoutée à une préparation amylacée de farine de maïs ou de manioc afin de liquéfier instantanément la préparation. En cause, une enzyme présente dans la racine, exogène à la préparation initiale donc, permet et accélère la réaction de liquéfaction.
Ici, l’enzyme AMG découpe toutes les liaisons. Il ne subsiste plus de dextrines et le nombre de sucres simples augmente. Cela augmente de fait l’alcool du brassin et le CO2.
La recherche et développement de l’industrie brassicole a encore de beaux jours devant elle. Si le consommateur renoue avec les bières traditionnelles artisanales, les artisans, eux, cherchent sans-cesse à créer de nouveaux produits. Il existe de nombreuses autres enzymes exogènes aux pouvoirs particuliers et leur utilisation n’en est qu’aux débuts.

