La découverte de la levure pure

La découverte de la levure pure

Élément indispensable au brassage de la bière, la levure est un des quatre ingrédients qui doit obligatoirement entrer dans la composition du breuvage. Et ce, depuis le premier brassin de l’humanité, il y a 13.000 ans ! Mais la levure est aussi nécessaire aux autres créations culinaires les plus importantes de l’Homme : le pain, le fromage, le vin ou encore la choucroute. Elle entre également dans la production de médicaments, antibiotiques et de bioéthanol. Les boulangers de ces derniers siècles s’approvisionnaient d’ailleurs en levure pour faire monter leurs pâtes chez les brasseurs. Cependant, le rôle des levures, leurs compositions et leur existence même n’ont été découverts que très récemment, au 19ᵉ siècle. Et une fois que l’on a compris tout ça… tout a changé ! Nous vous proposons donc de revenir sur la découverte de la levure pure.

La petite histoire de la levure

Lorsque les premiers pains et les premières bières ont commencé à être pétris, les premières levures s’y sont intégrées. Ce sont de petits champignons microscopiques et unicellulaires. Ils seraient donc l’un des premiers êtres vivants à avoir été domestiqué par l’Homme. Sans pour autant que ce dernier ne s’en rende compte.

On commence à comprendre leur importance dans l’Antiquité. Sans vraiment comprendre leur rôle. On sait à cette époque qu’il faut réutiliser une partie de l’ancien brassin pour que le brassage du nouveau soit optimal. Ce sont les prémices d’une culture des levures. Et nous continuerons ce procédé de nombreuses années. Cependant, la bière est parfois contaminée et imbuvable. C’est la maladie de la bière.

En 1857, Louis Pasteur, publie un mémoire sur la fermentation. Il s’y intéresse depuis 1849, stimulé notamment par les demandes de brasseurs lillois cherchant à améliorer la conservation de la bière. Le scientifique français découvre ainsi la nature et le rôle des levures, dont l’existence des levures sauvages. Il comprend également leur métabolisme et le fait qu’elles peuvent contenir des impuretés, bactéries ou moisissures. Louis Pasteur en déduit alors que la maladie de la bière est due à une infection de ces brassins par des bactéries présentes dans les levures. Il publiera un livre pour compléter son étude des maladies de la bière et de la fermentation en 1876, sobrement appelé : “Les études sur la bière”.

Quelques années après la première publication des travaux de Pasteur sur la fermentation, Emil Christian Hansen, un scientifique danois, a découvert une autre raison pour laquelle les brassins étaient contaminés : les levures sauvages.

Levure flottant au-dessus du moût de malt en fermentation
Levure flottant au-dessus du moût de malt en fermentation / Getty Images / Canva

Les travaux de Carlsberg et Hansen

Jacob Christian Jacobsen fonde la brasserie Carlsberg en 1847 au Danemark. Elle est baptisée ainsi en l’honneur de son fils “Carl” et signifie “La montagne de Carl” en danois. Fils d’un brasseur de la cour du roi, il part étudier l’art du brassage en Bavière dans la brasserie Spaten, chez Gabriel Sedlmayr dans les années 1840. Ce dernier est l’un des premiers à avoir brassé une bière Lager avec des procédés modernes. Et en bon élève de son maître, il repart de la brasserie avec deux pots de levures cachés sous son haut de forme. Elles ont ensuite permis de brasser les premières bières de fermentation basses de la brasserie.

Jacobsen est également très intéressé par les sciences et fait installer un laboratoire dans sa brasserie, lequel sera dirigé par Emil Christian Hansen. Il travaillera parfois en collaboration avec Pasteur. En 1883, il met au jour une autre raison pour laquelle les brassins sont parfois imbuvables : la contamination par les levures sauvages.

Pour réaliser une nouvelle bière, les brasseurs réutilisaient une partie de l’ancien brassin afin d’en récupérer les levures. Cependant, exposés à l’air libre, ces derniers étaient de temps à autre contaminés par des levures sauvages, qui modifiaient par la suite le goût et la fermentation du brassin suivant. Hansen travailla à l’isolement des levures. Ainsi, il put les cultiver et les réutiliser “fraîches” c’est-à-dire propres. Par la suite, il s’attela à isoler une souche unique qui deviendra la souche de référence Lager pour la brasserie, nommée en l’honneur de celle-ci : Saccharomyces Carlsbergensis. Nous avons également fait un article sur la naissance de la levure Lager.

Portrait du brasseur danois J. C. Jacobsen
Portrait du brasseur danois J. C. Jacobsen / Wikimedia Commons

Les conséquences pour le brassage

Pasteur a permis de comprendre les micro-organismes, et notamment leur contamination des mouts. Il en résultera la Pasteurisation, permettant de tuer ces micro-organismes une fois la fermentation finie. Le breuvage reste alors stable dans le temps, l’exportation et la conservation en sont facilités. La culture de la levure pure, en revanche, a permis d’uniformiser les flaveurs et caractéristiques de la bière. Il n’y a plus de risques de contamination par des levures sauvages, et on utilise la même levure, constante. On obtient alors toujours la même bière, brassin après brassin. C’est la première fois que l’on obtient une telle stabilité.

Au lieu de garder cette innovation pour eux, Carlsberg s’est empressé d’envoyer sa nouvelle souche à toutes les autres brasseries ! Cette découverte qui aurait donné une avance si importante à l’entreprise a été partagée. Grâce au partage des connaissances, on continue sans cesse d’améliorer et d’innover. Par la suite, plusieurs pays ont innové à leur tour dans la séparation des micro-organismes. La dilution sélective, la culture en milieu sélectif, la filtration, le lavage, la centrifugeuse… sont autant de moyens qui ont petit à petit été améliorés, en parallèle des innovations inhérentes à la révolution industrielle du moment.

La découverte de la levure pure a donc été une révolution dans le monde brassicole. Grâce à elle, on peut désormais sélectionner des souches de levures spécifiques, correspondant à un besoin précis. Amélioration du goût, du processus de fermentation, de la qualité, de la stabilité… le brassage devient moderne et innovant. Mais bien plus important encore, la levure pure intervient aujourd’hui dans la fabrication d’autres denrées alimentaires et boissons, dans des carburants alternatifs et même dans la production de médicaments comme les vaccins et l’insuline ! L’isolation de la levure, sans toutes les autres impuretés, permet également de récupérer la levure de bière.

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