Les Lagers, cette grande famille de bière avec les Ales. Bien plus récentes que ces dernières, elles ont bénéficié de nombreuses avancées scientifiques et technologiques au cours de ces deux derniers siècles. Apparues vers le 15ᵉ siècle en Bavière, une région possédant les caractéristiques environnementales permettant la fermentation basse, elles se sont réellement développées au 19ᵉ siècle avec l’émergence de la Pils et de la révolution industrielle. Cette dernière permit le brassage hors des montagnes Bavaroises, mais également sa compréhension plus scientifique. On peut notamment citer Pasteur et ses travaux sur les micro-organismes, avec la découverte des levures, comme une avancée plus que significative. Ce sont elles qui permettent la transformation des sucres en alcool, la fermentation. Il en résulte par ailleurs du CO2 produit lors de cette transformation, apportant l’effervescence tant attendue à la boisson. Dans cet article, nous allons revenir sur la naissance de la levure Lager.
La reproduction des levures
Les familles des levures
Des levures, il en existe de nombreuses sortes. Mais elles appartiennent généralement à deux grandes familles : celles agissant par températures chaudes (entre 15 et 25° C) et celles agissant par températures plus froides (entre 4 et 15° C). Suivant la levure utilisée pour faire fermenter notre bière, cette dernière offre des caractéristiques bien différentes, et est classée chez les Ales ou les Lagers. Vous pouvez retrouver notre article sur les trois familles de bière expliquant les différences entre ces fermentations.
Cependant, la découverte de ces champignons unicellulaires n’est que très récente comparée à l’apparition des premiers brassins de bière, il y a 13.000 ans. C’est avec les travaux de Pasteur, publiés en 1857, qu’il sera démontré que les levures sont des êtres vivants, responsables de la fermentation alcoolique.
Le cycle de vie des levures
La reproduction des levures suit habituellement le principe de la division cellulaire (reproduction asexuée). Une cellule mère bourgeonne pour donner naissance à une cellule fille, possédant les mêmes informations génétiques. On obtient alors deux cellules identiques (étape 1 sur le schéma suivant). Cette division est très utile pour cultiver ses levures et obtenir toujours les mêmes caractéristiques de brassage.
Mais dans certaines conditions spécifiques, il est possible que deux cellules de levures, différentes, s’unifient lors de leur bourgeonnement. Elles fusionnent alors en une seule cellule, possédant des caractéristiques différentes (étape 2). Tant que l’environnement est propice à la reproduction, cette nouvelle cellule continue le cycle de division cellulaire classique, avec ses nouvelles caractéristiques. Dans le cas contraire, la cellule se met “en attente” (étape 3) puis se redivise à maturité en les deux cellules mères d’origine.

Les levures étant donc des êtres-vivants, leur génome peut muter. Soit par des facteurs externes, pouvant être chimiques, radiatifs ou hasardeux, soit par croisement lors d’une reproduction sexuée. Cette mutation n’a parfois aucune incidence, mais peut aussi être bénéfique. Par exemple, une levure qui, à l’origine résiste bien à la chaleur, peut être croisée avec une autre tolérante à l’alcool. On pourra alors se servir de cette nouvelle levure pour brasser des bières de fermentation haute, fortes en alcoométrie ! On pourra aussi décider d’en choisir une donnant une touche d’épices au brassin, ou de fruits.
L’apparition des levures souches
Saccharomyces Cerevisiae
Aujourd’hui, lorsque vous voulez acheter des levures pour votre future bière, vous avez le choix entre des levures de fermentation hautes et des levures de fermentation basse. À l’exception des levures sauvages, utilisées pour la fermentation spontanée, toutes ces levures sont issues de la famille de Saccharomyces Cerevisiae. Littéralement : levure de bière. Saccharomyces Cerevisiae, c’est la souche des levures de fermentation haute dont sont issues toutes les variantes utilisables entre 15 et 25° C. Parmi celles-ci, nous pouvons retrouver la WLP005 (British Ale) ou encore la WLP500 (Belgian Monastery Ale).
Mais Saccharomyces Cerevisiae, c’est également la souche de base pour les levures de fermentation basse ! Car si aujourd’hui toutes les levures de fermentation basse sont issues de Saccharomyces Pastorianus, cette dernière est elle-même issue de Cerevisiae, croisée avec une souche résistante au froid. Parmi ces levures de fermentation basse, nous pouvons entre autres retrouver WLP800 (Pilsner Lager) ou encore WLP833 (German Bock).
Saccharomyces Pastorianus
Le nom spécifique Pastorianus a été donné en 1870, en l’honneur de Louis Pasteur. Il arrive que l’on retrouve dans des écrits le nom de Carlsbergensis, donné en 1883 en l’honneur de Jacob Christian Jacobsen, le fondateur de la brasserie Carlsberg. Cependant, bien que cette seconde souche soit semblable à la première, elles ne sont pas identiques. S. Pastorianus et S. Carlsbergensis sont deux levures différentes, et parfois confondues.
Toutes nos levures de Lager proviennent donc aujourd’hui de S. Pastorianus. Cette dernière serait apparue pour la première fois en Allemagne, au début du 17ᵉ siècle. Cela suite à l’accouplement de la levure S. Cerevisiae avec une levure sauvage résistante au froid, Saccharomyces Eubayanus. Des traces de cette dernière auraient été retrouvées en Patagonie du Nord, mais également au Tibet. Son origine n’est pas clairement définie, mais son arrivée en Allemagne serait la conséquence des échanges commerciaux mondiaux. La théorie asiatique serait la plus concevable, compte tenu du pont terrestre eurasien.
Une étude récente publiée dans le FEMS Yeast Research, un journal scientifique axé sur les levures et micro-organismes, suggère avoir découvert comment l’accouplement de ces deux levures aurait eu lieu.

L’origine de Saccharomyces pastorianus
L’apparition de l’espèce hybride
Pour comprendre l’origine de Saccharomyces pastorianus, il faut pour cela retourner en Bavière, à l’époque où cette région allemande était un royaume indépendant. On y brasse depuis le 15ᵉ siècle des bières de fermentation basse. Les brasseurs Bavarois se sont rendu compte qu’en entreposant leurs bières dans les grottes des Alpes, celles-ci ne devenaient pas aigres. Elles se conservaient !
À cette époque, le rôle des levures n’était pas encore connu. Les brassins fermentaient naturellement par ensemencement sauvage. Et pour ces bières Lager, dont le nom vient de l’allemand “Lagern” signifiant “stocker” ou “entreposer” (dans les grottes), les brassins ont été positivement contaminés par la souche S. Eubayanus. C’est elle qui a permis la fermentation à basse température, permettant une meilleure conservation de la boisson.
Mais alors comment sommes-nous passés de S. Eubayanus et S. Cerevisiae à S. Pastorianus, qui aujourd’hui est la souche de référence pour les bières Lager ? L’hypothèse initiale était que l’hybride (Pastorianus) est apparue lorsqu’une fermentation traditionnelle de bière S. Cerevisiae a été contaminée par des levures sauvages, dont S. Eubayanus. Mais les recherches récentes montrent que ce serait l’inverse !
Le privilège de la bière de blé
En Bavière, en 1516, une loi de pureté pour la bière est édifiée : le Reinheitsgebot. Celle-ci impose l’orge comme seule céréale autorisée dans le brassage de la bière. Mais à cette époque, les bières de blé étaient appréciées. En Bohême voisine, non concernée par ce décret, une excellente bière de blé à base de S. Cerevisiae était produite et de grandes quantités étaient importées en Bavière. Pour limiter les dommages économiques de ces importations, en 1548, le souverain bavarois Wilhelm IV accorda au baron Hans VI Von Degenberg un privilège spécial pour brasser et vendre de la bière de blé dans les régions frontalières avec la Bohême.
Lorsque le petit-fils d’Hans Von Degenberg (Hans VIII) n’a pas réussi à produire un héritier, la famille s’est finalement éteinte. En 1602, le nouveau souverain bavarois, Maximilien le Grand, s’est alors emparé du privilège spécial de la bière de blé et a repris les brasseries Schwarzach de Von Degenberg. En octobre de la même année, la levure de la brasserie de blé a été apportée à la brasserie de la cour du duc à Munich, où les chercheurs proposent que la fameuse hybridation ait eu lieu et que S. Pastorianus soit née.

L’expansion de la levure Lager
On brasse donc des bières Lager en Bavière depuis les années 1400, grâce à une souche de levure sauvage S. Eubayanus, probablement arrivée d’Asie. Dans la seconde moitié des années 1500, on (re)brasse des bières de blé en Bavière, grâce à la souche de S. Cerevisiae. Lorsque la brasserie Schwarzach est récupérée par la cour de Bavière au début des années 1600, la souche S. Cerevisiae s’accouple avec la souche S. Eubayanus impliquée dans la fermentation des bières de style Bavarois. Il en résulte la souche actuelle S. Pastorianus, qui s’est répandue dans toute l’Europe et qui est aujourd’hui devenue la souche de base pour toutes les levures Lager.
Mathias Hutzler, un des principaux auteurs de l’article parut dans le FEMS Yeast Research, conclut : “Il y a une certaine ironie dans le fait que l’incapacité d’Hans VIII Von Degenberg à produire un fils a déclenché les événements qui ont conduit à la création de la levure de bière Lager. Alors qu’une lignée s’éteignait, une autre a commencé. Pas d’héritier, mais quel héritage il a laissé au monde !« .
Grâce aux travaux de Pasteur sur la Pasteurisation, on a pu comprendre le rôle de ces êtres microscopiques. De nombreuses recherches ont alors démarré et notamment celles de la brasserie Carlsberg. Celle-ci a isolé pour la première fois une souche de levure pure. Voilà, vous connaissez désormais tout ce qu’il faut savoir sur la naissance de la levure Lager.

